La loi et l'esprit des lois, c'est vieux comme Montesquieu. Près de trois siècles plus tard, la question se pose lors des Championnats d'Europe en petit bassin dans le magnifique complexe de Rijeka. La règle veut que deux nageurs par nation soient qualifiés pour les demi-finales du 50 m. Et cette loi est tombée comme un couperet pour Alain Bernard, troisième temps des séries en 21"13, et Fabien Gilot, quatrième temps en 21"21. Ils ont perdu le petit Championnat national qui les oppose à Amaury Leveaux, impérial avec le record d'Europe en 20"80 dès 9 heures, et Frédérick Bousquet, bon gestionnaire en 21"07. Et cette règle n'est pas sexiste... Alexianne Castel, septième temps des séries du 100 m en 58"76, est éliminée car Laure Manaudou (3e temps en 58"25) et Alexandra Putra (5e temps en 58"58) la devancent.
«Cela prouve que le sprint continue à progresser. Tous les quatre, on était potentiellement médaillables, mais c'est la loi du sport, relativise Fabien Gilot. Bien sûr, cela reste un peu en travers de la gorge, mais ce sont les règles depuis le début. On le sait et on fait avec.» Est-ce l'essence du sport de haut niveau ? Pas vraiment... Avec les quatre meilleurs temps des séries, les Tricolores n'ont que deux qualifiés... Des problèmes de riches ! Du moins d'une densité immense du réservoir français. Mais cela permet aux "petites" nations d'exister. Bon esprit, les nageurs ne sont pas révoltés. «Quatre Français, deux places. Et voilà. C'est la règle du jeu. On ne va pas se plaindre d'avoir un super niveau en France, avoue avec fair-play Alain Bernard. C'est à nous de nous adapter.» Mais le champion olympique du 100 m ne courbe pas pour autant l'échine. Comme tout champion, il n'aime pas perdre et se retrouver éliminé avec un chrono de 21"13 le matin, c'est difficile à digérer : «Cela me fait un peu chier mais c'est comme ça. J'ai été moins bon et je ne mérite pas de passer. Mais je sais qu'à 19 heures, je peux aller beaucoup plus vite... Je savais qu'il fallait être à fond, je n'ai donc rien à regretter. Heureusement que je ne suis pas content de terminer 3e. Maintenant je vais bien récupérer, ce n'est que le début de la compétition.»
Ces deux éliminations ne doivent pas occulter la remarquable performance d'Amaury Leveaux. Le patron sur 50 m, c'est lui. Et le Mulhousien compte bien le montrer. Dès le matin, il bat le record d'Europe et son petit sourire pour évoquer ses objectifs laisse entendre qu'il ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. «Aux Championnats de France, j'avais fait 20"95 avec des petites erreurs. J'ai eu trois ou quatre jours pour peaufiner mes virages, monter moins haut mes jambes. J'ai réalisé 20"80 et je ne suis pas à fond», prévient l'élève de Lionel Horter. Médaillé d'argent sur la distance à Pékin, il démontre lors de chacune de ses sorties sa nouvelle dimension. Son duel avec Frédérick Bousquet (2e temps en 21"07) s'annonce palpitant et les chronos pourraient en payer le prix fort. Sur les terres du Croate Duje Draganja (ancien recordman d'Europe en 20"81 à Manchester en 2008), il a pris son record d'Europe et ce n'est qu'un début.
Sophie DORGAN, à Rijeka