Patrice Menon, le maître d'âme du fleuret tricolore


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Eole
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Date du message : samedi 6 novembre 2010 à 00h55


Source Lemonde.fr
Patrice Menon, le maître d'âme du fleuret tricolore

Le ton est assuré, la démarche plus hésitante. A 55 ans et au moment d'attaquer les championnats du monde, qui se disputent du 4 au 13 novembre au Grand Palais à Paris, Patrice Menon, directeur des équipes de France d'escrime, sort à peine d'une opération pour réparer un genoux récalcitrant. N'y voyez aucun signe de faiblesse, plutôt la confirmation d'un caractère fort : "Mon genoux s'est bloqué, je ne voulais pas prendre le risque que cela arrive à nouveau pendant les Mondiaux."

Tout de noir vêtu, le visage carré, le regard clair mais scrutateur, le grand manitou du fleuret français est prêt pour une nouvelle campagne. Des JO d'Atlanta en 1996, où il était coentraîneur des fleurettistes tricolores, en 2005, date à laquelle il a pris un peu de recul en occupant le rôle de responsable du haut niveau, Patrice Menon a mené de nombreuses batailles, souvent victorieuses.

A son arrivée à la tête du fleuret français en 1996, l'équipe de France masculine n'a plus glané un titre par équipe depuis vingt-trois ans. En 1997, lors des Mondiaux au Cap, en Afrique du Sud, Plumenail, Boidin ou encore Lhotellier deviennent champions du monde, sous sa direction, après un affrontement homérique face aux Cubains. Suivront de multiples médailles qui ont contribué à marquer les esprits d'un sport roi des JO en France. Et pourtant, comme il le confesse lui-même, le natif d'Orléans n'est pas vraiment du sérail.

LES ARMES PAR HASARD

Sa rencontre avec l'escrime a bien failli ne jamais se faire. Lors d'un séjour de quatre ans de la famille en Allemagne pour suivre le père militaire, la sœur s'essaie à l'art de manier l'épée. Au retour en France, elle continue la pratique dans un club, en compagnie d'un autre frère. Patrice, 15 ans, qui pratique à l'époque le judo et l'athlétisme, va les chercher régulièrement après l'entraînement. "Un jour, le maître d'arme m'a dit : puisque tu es là, tu vas essayer. Je n'aurais jamais eu l'idée moi-même", raconte-t-il. Dès lors, le sacerdoce est tout trouvé, la passion dévastatrice se propage et envahit son existence. Doué, il dispute à 19 ans les championnats du monde junior à Istanbul avant de rejoindre le bataillon de Joinville l'année suivante pour son service militaire, puis le Racing, club omnisport incontournable du sport français.

Malgré des qualités supérieures à l'épée, son amour du fleuret ne s'est jamais démenti. "Cette histoire de cible, cette surface de toucher du tronc aux couilles, la précision et la technique nécessaires m'ont toujours séduit", explique-t-il. Si bien, qu'à 24 ans, lorsqu'il interrompt, à cause de blessures récurrentes aux genoux, une carrière honnête d'escrimeur "pas loin des meilleurs", passer sa maîtrise d'arme (brevet d'entraîneur en escrime) s'impose.

Le face-à-face au cours duquel "on donne, on prend et on ne peut pas tricher", la puissance de l'humain qui engendre forcément "des relations fortes", Patrice Menon ne cache rien de l'attraction excercé sur sa personne par le rapport de proximité entre le maître et son élève. "On progresse ensemble lors d'une rencontre humaine qui repose sur un accord de principe. Ce n'est que rarement harmonieux. On discute, on négocie mais, à la fin, la décision m'appartient", tranche-t-il. Dieu sait si le directeur des équipes de France ne manque pas de caractère pour imposer sa vision des choses.

DANS LA RUPTURE

Après deux ans de formation, il effectue ses débuts de maître d'arme à Charenton, "un club très en verve à l'époque". Rapidement, le grand Racing décide de l'inclure dans une politique de rajeunissement de l'encadrement, séduit par ses idées nouvelles. En effet, celui qui vient de "l'escrime d'en bas", qui a gravi toutes "les étapes de A à Z", a parfois détonné dans le milieu un peu coincé du fleuret, l'arme de référence. "J'ai exploré des pistes différentes, j'étais moins lié à la tradition", analyse-t-il.

Son camarade de route, Michel Sicard, ancien entraîneur des épéistes puis ancien DTN de l'escrime, confirme : "Il est dans la rupture de ce qui se fait de manière classique. Il a révolutionné le haut niveau en apportant le culte de la touche en premier, là où nous étions engoncé dans une escrime de catalogue, de la belle touche". Mais pas question pour Patrice Menon de renier cette tradition, les enseignements puisés dans la documentation. "Je n'ai jamais opposé modernité et tradition. Je me suis toujours appuyé sur elle", affirme celui qui avait lié une relation particulière avec le légendaire Christian d'Oriola, quadruple médaillé d'or olympique.

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Eole
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Date du message : samedi 6 novembre 2010 à 00h56


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Agacé par les raclées récoltées face aux Italiens et aux Allemands, Menon bouge ses tireurs et réclame de l'engagement, de la baston, quitte à s'attirer des critiques. "Lorsque je coache avec des gros mots, comme 'arrache toi les couilles, pète-lui la gueule…', cela choquait au début", avoue-t-il. Avant de constater, amusé, son changement de personnalité : "Plus jeune, j'étais hyper timide, transparent. L'escrime m'a libéré, mener des hommes m'a forgé". Pour Lionel Plumenail, dont il a été le maître d'arme pendant douze ans, "le côté expansif" de Menon contribue à "mettre en évidence plus que pour d'autres, une certaine dureté". "Son exigence est simplement celle du haut niveau", explique le médaillé d'or de Sydney.

Tour à tour cru, combatif ou novateur, Patrice Menon a parfois suscité des conflits pour obtenir une progression, il apprécie les personnalités et espère la contradiction. Il assume sa qualité de meneur d'hommes aux allures de despote. "J'ai l'image d'un salaud inhumain, mais cela reste une manière de me protéger, de ne pas m'impliquer dans l'affectif", explique-t-il. "Vous ne me verrez jamais taper sur le ventre de mon escrimeur", raconte celui qui milite pour le juste dosage entre la trop grande complicité et la posture trop froide : "Moi, j'ai préféré être plus dur." "Il a transformé ses tireurs en vrais combattants", remarque Sicard.

À L'INTUITION

D'une implication presque obsessionnelle à son sport, Patrice Menon a exercé un contrôle absolu sur les événements. "Un entraîneur, c'est deux bons yeux, deux bonnes oreilles. Tu dois aller prendre l'information. C'est le conseil que je donne désormais aux entraîneurs qui viennent me réclamer un préparateur mental par exemple", affirme-t-il. Une fois parfaitement informé sur ses athlètes, la méthode Menon fonctionne à l'intuition. "Sa principale qualité est la perception des hommes", évoque Patrice Lhotellier, champion du monde et olympique. Il s'adapte aux individus qu'il a en face de lui. "Il a su nous donner à Plumenail et moi une plus grande liberté dans les entraînements. Il savait que nous pourrions être des exemples", exprime Lhotellier. "Dans sa prise de décision, il s'est servi de la nourriture de l'expérience. Et il s'est rarement trompé", admire Michel Sicard.

Tout l'œuvre de Menon est marquée par la part du diable, ce culte de la gagne. "L'essentiel est de tout mettre en œuvre pour être en mesure de gagner et de persuader les tireurs qu'ils en sont capables", lance-t-il. Quitte à parfois utiliser la ruse : "Au début, les Allemands ne savaient pas que je parlais leur langue. Lorsque leurs entraîneurs transmettaient les consignes, je les traduisais à mes escrimeurs". Le subterfuge a vite été découvert mais le sacro-saint respect entre combattants ne s'est jamais démenti, comme en témoigne le "gentil ennemi" utilisé à l'adresse de Menon par Jochen Behr, entraîneur des fleurettistes allemands.