Voici ci-dessous l'article (si je me mets à faire de l'autopiratage, ça va être bon pour les finances du magazine
)
Je me rappelle que j'avais adoré le style d'Echenoz, beaucoup plus travaillé qu'il n'y paraît et d'une grande fluidité. D'ailleurs, si vous avez aimé Courir, lisez "Je m'en vais", pour lequel il a obtenu le prix Goncourt.
Echenoz dans la foulée de Zatopek
Dans son dernier roman, « Courir »*, l’écrivain Jean Echenoz, prix Goncourt 1999 pour « Je m’en vais », retrace l’incroyable destin d’un des plus grands fondeurs du 20e siècle, le Tchèque Emil Zatopek. Roman biographique, « Courir » est un formidable hymne à la course à pied et à un coureur d’une profonde humanité, derrière son éternel masque de souffrance. Découverte.
Par Florian Gaudin-Winer
L’athlétisme est un sport de puristes. De fêlés des chiffres, en secondes ou centimètres, souvent capables de vous débiter la liste des records du monde avec l’application d’un écolier récitant ses tables de multiplication. Alors on a débuté « Courir », le dernier roman de Jean Echenoz, prix Goncourt 1999 avec « Je m’en vais », un peu circonspect. Comment raconter la vie du Tchèque Emil Zatopek, un des plus grands fondeurs de l’histoire, avec « très peu de culture dans le domaine de l’athlétisme », comme le confie lui-même l’auteur. Dans « Courir », les dissertations techniques et les farandoles de chronos n’ont pas leur place. Il faut ainsi attendre la page 45 pour découvrir la première et unique évocation d’un temps de celui que la presse des années 1950 surnommait « la locomotive tchèque » : 14’25’’8 sur 5000 m. Et pourtant, Jean Echenoz, « pas bon en sport, nul en hauteur et à la longueur, mais pas si mauvais en natation et en longue distance », décrit la souffrance du coureur à pied avec le réalisme d’un scrutateur des pelotons agonisants : « Emile, on dirait qu’il creuse ou qu’il se creuse, comme en transe ou comme un terrassier. Loin des canons académiques et de tout souci d’élégance, Emile progresse de façon lourde, heurtée, torturée, tout en à-coups. Il ne cache pas la violence de son effort qui se lit sur son visage crispé, tétanisé, grimaçant, continûment tordu par un rictus pénible à voir. Ses traits sont altérés, comme déchirés par une souffrance affreuse, langue tirée par intermittence, comme avec un scorpion logé dans chaque chaussure. Il a l’air absent quand il court, terriblement ailleurs, si concentré que même pas là sauf qu’il est là plus que personne et, ramassée entre ses épaule s, sur son cou toujours penché du même côté, sa tête dodeline sans cesse, brinquebale et ballote de droite à gauche. » Quelques lignes qui disent tout de deux styles atypiques. Ceux de Zatopek et d’Echenoz lui-même. Avec un athlète qui, comme le disait Larry Snyder, l’entraîneur de Jesse Owens, « fait tout ce qu’il ne faut pas faire mais gagne ». Avec un auteur à la plume légère, amoureux des mots et de leur musicalité, aux comparaisons osées mais toujours justes. « Courir » est un long sprint haletant, elliptique et fluide. Interrompu parfois par quelques secondes d’accalmie, avant d’être relancé à la faveur d’une virgule curieusement placée ou d’un point impromptu. « J’ai voulu garder le rythme du récit, en ne me laissant pas freiner par des dates et des temps, raconte de sa voix courtoise et peu pressée l’écrivain. La cadence de la pratique influe sur la manière d’écrire. Je n’ai pas l’impression de le faire consciemment mais on ne peut pas écrire de la même manière sur un compositeur, comme Ravel, et sur un coureur, comme Zatopek. »