Et voilà comment, en moins de temps qu'il n'en faut pour enlever un maillot, Mahiedine Mekhissi a réussi à mettre le feu, jeudi 14 août, à ces championnats d'Europe de Zurich. La mythique piste du Letzigrund avait l'habitude des records, mais la "performance" du Français avait le goût de l'inédit. Habitué de frasques divers et variés, dont une originale propension à malmener les mascottes – celles de l'Euro 2010 à Barcelone et de l'Euro 2012 à Helsinki –, le Rémois a bâti encore un peu plus sa drôle de légende.
Les amateurs de polémiques s'en frottent les mains, les débatteurs en tout genre fourbissent leurs arguments. Au-delà du bien fondé de la disqualification qui s'en est suivie, le geste de Mahiedine Mekhissi soulève au moins débat intéressant : les coureurs de demi-fond ou de fond ont-ils le droit de chambrer ?
Il suffit de voir certaines courses de la star du sprint Usain Bolt, tirant la langue, souriant ou tournant la tête ostensiblement avant la ligne d'arrivée, afin de montrer sa supériorité, pour constater que ce type de comportement n'est pas rarissime sur les pistes. On peut toutefois observer que si ce jeu d’esbroufe est particulièrement apprécié sur les courtes distances, il l'est traditionnellement moins sur les épreuves de fond, comme si l'humilité croissait au fil des mètres avalés.
Les fondeurs devraient être plus humbles que leurs homologues du sprint. Avec sa pitrerie, Mahiedine Mekhissi est venu chambouler ces images, même si lui assure qu'il voulait simplement célébrer sa victoire comme le font certains footballeurs – on remarquera que le ballon rond est d'ailleurs connu pour exceller dans la pratique du "chambrage".
Pour certains, chambrer son adversaire, et il est difficile de leur donner tort, est une forme de manque de respect. Le Finlandais Jukka Kiskaselo a ainsi interpellé Mahiedine Mekhissi à l'arrivée du 3 000 m steeple : "Si tu étais autant dominateur, tu aurais dû enlever aussi ton short !" Pour d'autres, cela fait partie du sport et il faut accepter ces "grains de folie", pour reprendre l'expression du directeur technique national de l'athlétisme français, Ghani Yalouz. Le débat est ouvert.
La décision de disqualifier Mekhissi est en revanche éminemment critiquable sous un autre angle : en invoquant notamment l'article 143.7 du règlement de l'IAAF, relatif aux "dossards", le jury de Zurich voudrait nous faire croire que Mekhissi a été disqualifié simplement pour avoir enlevé son maillot. Mais personne n'est dupe. En réalité, et c'est un savoureux paradoxe, il semble bien que les juges aient détourné un texte qui n'avait pour but que d'éviter les erreurs de classements ou de comptage de tours en imposant le fait que les dossards restent visibles pendant la course.
Or, dans le cas présent, ils sont parvenus à l'effet inverse, en appliquant à la lettre le règlement, afin de faire primer "les valeurs de l'athlétisme", ils ont pénalisé un gagnant incontesté pour un perdant, l'Espagnol Mullera. Lorsque l'on ajoute que ce dernier a dû avoir recours au Tribunal arbitral du sport pour participer aux JO de Londres, car son propre comité olympique portait sur sa personne de forts soupçons de dopage, l'ironie de l'histoire est cruelle. La justification de la sanction à l'encontre de Mekhissi peut apparaître d'autant plus pour le moins hypocrite.
Mais au moins, les athlètes sont avertis. Pour chambrer leurs adversaires, les coureurs pourront parcourir les cinq derniers mètres de la course à quatre pattes ou à cloche-pied, mais ils savent désormais qu'ils ne pourront pas retirer leur maillot.
Source : http://zurich2014.blog.lemonde.fr