Au crépuscule de ses 35 ans, Cathy Freeman, véritable icône australienne, revient sur sa carrière sportive sublimée par une médaille d’or aux Jeux de Sydney sur le tour de piste. Elle analyse l’impact que cela a eu sur son pays, elle qui est d’origine aborigène.
Vous aurez 36 ans le 16 février prochain, votre carrière d’athlète a pris fin pendant l’été 2001. Que faites-vous aujourd’hui ? Quel est votre métier, comment occupez-vous votre quotidien ?
Ma priorité est désormais ma vie privée. Je suis très heureuse de ce côté-là. Je vais me marier au mois d’avril. J’ai aussi une fondation à mon nom, en Australie, dirigée vers les enfants aborigènes. J’y consacre du temps, je m’implique beaucoup. J’ai également encore des activités dans les médias et le marketing. J’essaye de faire vendre certains produits au public, mais seulement en Australie. Je suis également régulièrement sollicitée pour des interventions sur la motivation, dans des séminaires ou des conférences. Enfin, j’ai réalisé un DVD et écrit un livre pour les enfants. Je travaille de la maison. Mais j’ai encore deux agents, l’un à Melbourne, l’autre à Londres.
Vous n’avez donc plus d’activité directement liée à l’athlétisme ?
Non. J’aimerais entraîner, mais c’est un travail très prenant, pour lequel il faut se donner à fond, 24 heures sur 24. Je m’y mettrai peut-être à 60 ans ! Sinon, j’entretiens des relations très cordiales avec la Fédération australienne d’athlétisme, mais elles ne débouchent sur rien de très concret.
Vous ne courez plus ?
Si, j’ai repris la course à pied en septembre dernier. Pour des raisons, disons psychologiques. Pour être plus heureuse. Je venais de perdre l’un de mes frères dans un accident de voiture. Mes autres frères ont pensé que reprendre le sport m’aiderait à ne pas tomber dans la dépression. Et puis, je me suis dit que ce serait aussi très bien pour mon futur mariage. Je cours quatre fois par semaine, en suivant un programme que m’envoie mon manager anglais. Mais je n’ai aucune intention de revenir à la compétition.
A l’époque, quelle raison avait motivé votre décision de mettre fin à votre carrière d’athlète ?
J’ai arrêté une année après les Jeux de Sydney. Mais sans l’avoir vraiment prémédité. Le déclic s’est produit pendant une course, aux Etats-Unis. Je n’avais même pas essayé de gagner. A l’arrivée, j’ai réalisé que c’était terminé. Ne pas essayer de gagner, c’était tellement peu moi qu’il était temps de passer à autre chose.
Comment avez-vous vécu votre après carrière ? Beaucoup d’athlètes y traversent des moments difficiles…
Je n’ai pas fait exception. Quand vous n’avez plus à penser à la course à pied, qui était au centre de votre identité, vous ne savez plus qui vous êtes. C’est une période difficile, étrange, effrayante. Du jour au lendemain, j’ai eu le sentiment d’avoir perdu ma place dans ce monde. Je me suis sentie totalement décalée, sans repères. Il m’a fallu découvrir qui était mes vrais amis. Quand vous êtes un athlète de très haut niveau, tout est fait pour vous, à votre place. Vous n’empruntez pas les mêmes routes que les gens normaux. Moi, j’avais mon assistante personnelle, mon manager. J’ai dû apprendre à devenir indépendante.
Votre médaille d’or olympique à Sydney vous a rendue riche et célèbre, adulée de tout un pays, au cœur de toutes les attentions. Votre vie n’a plus jamais été la même ?
Vous savez, je suis une personne assez timide, très discrète. Certains me jugent même énigmatique. Après les Jeux, je n’ai jamais eu l’impression d’avoir changé. Il m’a même semblé, parfois, que ma médaille d’or avait rendu les gens plus heureux et excités que je l’étais moi-même. Etre championne olympique était seulement un objectif que je voulais atteindre. Je n’ai jamais voulu devenir célèbre. Aujourd’hui, les gens en Australie se sont presque un peu approprié ma victoire. Un peu comme pour la mort de Diana ou le premier pas sur la lune, ils se souviennent où ils étaient et ce qu’ils faisaient pendant la finale du 400 m. Mais je n’appartiens pas au show-business. J’aspire seulement à mener une vie simple.
Que représentez-vous, aujourd’hui, en Australie ?
Une belle histoire, je crois, à laquelle beaucoup d’Australiens peuvent s’identifier. Je viens d’une famille assez laborieuse, je suis aborigène, une race qui a été victime d’une terrible oppression. Je n’étais pas prédestinée à entrer dans l’histoire de mon pays. Aujourd’hui, j’en fais pourtant partie.
La finale du 400 m des Jeux olympiques de Sydney a-t-elle été la course la plus difficile de votre carrière ?
Non. J’ai pu sembler complètement épuisée, à l’arrivée, mais cet état était plus nerveux, voire émotionnel, que physique. A la réflexion, je me dis que j’en ai peut-être fait un peu trop dans le côté dramatique (elle se marre). Mais l’énergie transmise par le stade, ce public qui me poussait de ses cris pendant toute la course